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SOUNDTRACK
ANALYSIS
007
SKYFALL
PAR QUENTIN BILLARD
007 SKYFALL
Sony Classical 88765410402
« Skyfall » est le 23ème long-métrage des aventures du plus célèbre agent secret de sa majesté, confié cette fois-ci à la surprise générale à Sam Mendes, inattendu sur un projet de ce genre. Le réalisateur de « American Beauty » et de « Road to Perdition » est devenu en quelques années l’un des meilleurs cinéastes américains de son époque (récompensé par un Oscar pour « American Beauty » en 1999), passionnant lorsqu’il évoque la psychologie et les travers de l’âme humaine. Le résultat est tout bonnement prodigieux, peut-être même l’un des meilleurs 007 de toute la franchise et aussi le plus déroutant et le plus iconoclaste à bien des égards (idéal pour fêter les 50 ans de la saga). Avec « Skyfall », Mendes fait appel à tout son art et nous livre une histoire de vengeance inédite dans la franchise, filmée avec une maestria impressionnante. L’histoire de « Skyfall » débute alors que la dernière mission de Bond (Daniel Craig) se solde par un fiasco :
blessé accidentellement par sa collègue Eve (Naomie Harris) en pleine mission, Bond disparaît pendant un certain temps après avoir été désavoué par sa hiérarchie, parce qu’il a laissé un terroriste s’enfuir avec un précieux disque contenant les données de nombreux agents infiltrés qui se retrouvent exposés dans le monde entier. Peu de temps après, le MI6 britannique est victime d’une attaque terroriste, obligeant M (Judi Dench) à délocaliser l’Agence pour s’implanter dans un autre endroit tenu secret. Cette série d’événements secouent l’ensemble des responsables britanniques, alors que Gareth Mallory (Ralph Fiennes), le nouveau président de l’ISC (comité du renseignement et de la sécurité anglaise), intervient et remet en cause l’autorité de M. Le MI6 se retrouve ainsi victime d’une menace intérieure et extérieure. Désormais, il ne reste plus que James Bond pour enquêter sur cette sinistre affaire : tiré de sa retraite temporaire par M, Bond est remis sur les rails et va devoir oeuvrer dans l’ombre afin de retrouver le mystérieux Raoul Silva (Javier Bardem), qui pourrait bien être l’auteur de cette redoutable conspiration motivée par un objectif secret : assouvir une vengeance personnelle contre M, et ce par tous les moyens imaginables. « Skyfall » est de loin l’opus le plus audacieux et le plus riche de la saga 007 : cette fois-ci, l’intrigue n’est pas construite autour d’une banale histoire de conspiration internationale mais se résume essentiellement à une histoire de vengeance qui vise particulièrement M, toujours brillamment interprétée par l’irremplaçable Judi Dench. Sam Mendes choisit de bousculer avec « Skyfall » tous les codes de la saga tout en rendant un hommage évident à son héros de jeunesse (le réalisateur confia à plusieurs reprises réaliser un vieux rêve d’enfance en tournant ce film) : exit les gadgets et les trucs sophistiqués, cette fois-ci, Bond échoue, sombre dans l’alcool et se laisse pousser la barbe ; l’imprenable et puissant MI6 est victime d’une attaque terroriste ; M est traquée ; le méchant cherche à accomplir une vengeance implacable ; les James Bond girls ne finissent pas dans le lit de 007, et l’on découvre même, chose rare dans la franchise, le passé de Bond et de sa famille (d’où le lien avec l’énigmatique titre du film).
Sam Mendes va encore plus loin et nous offre de véritables séquences d’anthologie, magnifiées par une mise en scène extraordinaire : un long plan-séquence inoubliable pour l’exposition de Silva – performance incroyable de l’espagnol Jarvier Bardem, dans la peau du bad guy le plus passionnant, le plus étrange et le plus déjanté de toute la saga 007 – une bagarre entièrement filmée en ombres chinoises à travers les vitres d’un immeuble, un triple montage parallèle central magistral développant conjointement les personnages de Bond, M et Silva (avec un speech impressionnant et très contemporain de M au tribunal), et une longue bataille finale nocturne qui n’est pas sans rappeler la violente conclusion du « Straw Dogs » de Sam Peckinpah (1971), cette longue séquence finale étant uniquement éclairée par la lumière des flammes en train de détruire le manoir écossais où a lieu la fusillade. Avec « Skyfall », Sam Mendes nous rappelle une chose rare de nos jours à Hollywood : un bon film, c’est avant tout une bonne mise en scène, dans laquelle le réalisateur peut (et doit) avoir un point de vue sur sa réalisation et sa façon de filmer. Si le scénario de « Skyfall » n’est pas extraordinaire en soi, c’est dans la façon dont Mendes filme 007 comme personne que le long-métrage s’impose comme l’un des plus passionnants opus de toute la franchise et aussi le plus déroutant dans sa façon de dynamiter un par un tous les codes des films Bond, tout en les respectant par la même occasion (on appréciera par exemple le retour de l’Aston Martin B25 ou l’introduction d’un jeune Q ou de Moneypenny). Certains ont aussi relevé dans ce film les connotations freudiennes de l’affrontement entre M et Silva, ou le fils qui cherche à se libérer de l’emprise de sa « mère » avec ses sentiments ambigus d’amour/haine contre M : Sam Mendes parvient ainsi à introduire une profondeur psychologique qui faisait cruellement défaut aux précédents Bond, et une émotion véritable qui prend tout son sens lors de l’incroyable scène conclusive dans la chapelle entre M et Silva, peut être l’une des scènes les plus intenses et les plus bouleversantes de toute la saga 007. Quant à Jarvier Bardem, teint en blond pour l’occasion, il est la véritable star du film, incroyable de folie, de cynisme et de perversité, parvenant même à éclipser Bond durant une bonne partie du film. Mendes voulait orienter « Skyfall » vers le drame, les personnages et les dialogues, plutôt que l’action ou les effets spéciaux : pari réussi pour le réalisateur, et ce même si le film nous offre quand même des séquences d’action ahurissantes, puissantes et virtuoses (la poursuite introductive, la bataille dans le manoir écossais en flammes, la fusillade dans le tribunal, etc.). Niveau casting, en dehors de Craig, Dench et Bardem, le film nous offre aussi deux nouvelles James Bond girls en la personne de Naomie Harris et de la française Bérénice Marlhoe, véritable révélation de « Skyfall » et dont le rôle – plutôt mineur au final – est un tremplin évident pour sa future carrière, même si la séduisante actrice n’apparaît pas longtemps dans le film. Intelligent, bouleversant, sombre, intense et parfois même assez drôle, « Skyfall » remue le spectateur et crée la surprise en apportant une véritable fraîcheur à la franchise 007, un film déroutant qui risque fort d’en surprendre plus d’un, un long-métrage d’exception dans la saga James Bond !
Dans cette aventure, David Arnold n'est plus du voyage et laisse ici sa place au compositeur de prédilection de Sam Mendes, Thomas Newman, qui débute pour la toute première fois dans sa carrière sur la musique d’un film de 007, une première donc, pour le compositeur américain surtout connu pour ses musiques dramatiques et intimistes minimalistes. « Skyfall » marque ainsi les retrouvailles entre Mendes et Newman après « American Beauty » (1999), « Road to Perdition » (2001), « Jarhead » (2005) et « Revolutionary Road » (2009).
Pour Thomas Newman, appréhender la musique d’un James Bond n’était guère chose aisée, car le compositeur, totalement étranger à ce style de musique, se devait de passer après des partitions monumentales de John Barry ou de David Arnold. La musique de « Skyfall » fait appel à l’orchestre symphonique habituel agrémenté de synthétiseurs et d’un ensemble d’instruments solistes si chers à Thomas Newman : George Doering revient ainsi aux guitares, tandis que John Beasley se voit confier les synthétiseurs et les percussions aux côtés de Paul Clarvis, sans oublier Sonia Slany au violon électrique, Phil Todd aux flûtes ethniques et John Parricelli aux guitares additionnelles. Avec « Grand Bazaar, Istanbul », Newman nous fait immédiatement entrer dans le vif du sujet avec la signature musicale de Bond aux trompettes dès la première seconde du score. Pourtant, très vite, le compositeur délaisse ce thème et se lance dans un premier morceau d’action trépidant pour la poursuite introductive à Istanbul, avec le rappel des harmonies du célèbre thème de Monty Norman à partir de 3:34, le tout sur fond de violon électrique, percussions arabisantes, guitares ethniques et cuivres musclés. Newman se rapproche ici du style d' action de David Arnold et s’en tire plutôt bien avec « Grand Bazaar, Istanbul », une séquence énorme !
Néanmoins, il faut admettre que Thomas Newman, qui n’a jamais été un spécialiste des musiques d’action, aborde ici le genre avec une décontraction étonnante, apportant une énergie et un panache impressionnant aux images. On retrouve aussi le style intimiste et minimaliste cher à Thomas Newman dans « Severine », pour lequel le musicien nous offre un Love Theme romantique et délicat dont lui seul en possède le secret, pour le personnage incarné par Bérénice Marlhoe. Le lyrisme rétro et raffiné de « Severine » rappelle par moment le romantisme du Golden Age hollywoodien et renvoie aussi à certaines partitions plus intimistes du compositeur.
Aucun doute possible, malgré l’exercice de style, Newman reste Newman et conserve sa personnalité tout au long du score de « Skyfall ». Il conserve aussi son goût pour les expérimentations électroniques comme le confirme « Shanghai Drive » qui, au lieu de verser dans les musiques asiatiques/ethniques habituelles, préfère opter pour une approche électro plus contemporaine afin de souligner l’arrivée de Bond à Shanghai. Et c’est pendant la partie à Shanghai que Newman renoue avec l’action dans le trépidant « Silhouette » pour la séquence de l’affrontement en ombres chinoises, à grand renfort de percussions scandées de façon guerrière, de synthés et de cuivres massifs.
Malgré tout, on ne peut s’empêcher de préférer les moments plus romantiques et intimes comme le magnifique « Modigliani » qui reprend le Love Theme de Severine, dans un style lyrique et délicat que n’aurait certainement pas renié John Barry.
On retrouve d’ailleurs des similitudes avec Barry dans « Komodo Dragon », dont l’introduction de cordes semble échappée d’une ancienne partition de Barry pour les 007 des années 60/70. A noter que « Komodo Dragon » inclut une brève allusion mélodique à la très belle chanson-clé « Skyfall » d’Adele, titre phare du film de Sam Mendes et grand gagnant des ventes de single pour cette fin d’année 2012.
Et si vous pensiez que Thomas Newman était incapable d’écrire de bonnes musiques d’action, attendez d’entendre l’ahurissant « The Bloody Shot » : avec ses cuivres syncopés à la Stravinsky et ses percussions omniprésentes, Newman parvient à créer un tempo trépidant à l’écran, mélangeant danger et tension de façon remarquable.
Le morceau nous offre par la même occasion une brève envolée musclée du célèbre thème de Monty Norman, au dessus d’un flot de percussions déchaînées. Les amateurs des musiques de 007 apprécieront aussi le retour du thème emblématique de la saga dans « Breadcrumbs ». On appréciera ensuite l’intense montée orchestrale et le final quasi épique et solennel de « Tennyson ». Les morceaux d’action se succèdent enfin durant la longue bataille finale, de « Kill Them First » à l’excitant « Welcome To Scotland » en passant par le trépidant « She’s Mine ». La conclusion dramatique arrive avec le sombre « Deep Water » et le tragique « Mother », dont la fanfare funèbre conclusive possède un côté solennel très britannique déjà introduit dans « Voluntary Retirement », une façon judicieuse pour Thomas Newman de marquer la fin d’une ère pour James Bond (et le début d’une autre !).
Alors qu’il semblait totalement improbable qu’un musicien comme Thomas Newman participe à la musique d’un 007, son score pour « Skyfall » est une belle surprise et confirme que le compositeur possède un vrai talent pour les musiques d’action,
Newman s’est retroussé les manches et nous offre l’une de ses musiques les plus dynamiques et les plus intenses qu’il ait eu à écrire pour un film de Sam Mendes. Evitant l’erreur d’Eric Serra sur « GoldenEye », Thomas Newman parvient à conserver son propre style musical tout en livrant une musique 100% James Bond : thème de Monty Norman, cuivres déchaînés, percussions tonitruantes et même thème romantique, le tout accompagné de quelques touches ethniques, de rythmes synthétiques et de moments plus dramatiques : tels sont les ingrédients de ce délicieux met concocté par sieur Thomas Newman pour « Skyfall » : de l’action, de la tension, du fun et de l’émotion, que pouvait-on attendre de plus pour ce 23ème épisode des aventures de 007 ?
Thomas Newman n’a rien à envier à son prédécesseur David Arnold et parvient à nous livrer une partition solide et très impressionnante qui permet au musicien de rentrer dans la prestigieuse lignée des compositeurs de la franchise 007.
Pari réussi donc pour Newman, qui s’en tire à bon compte et comble largement nos attentes sur ce qui reste à l’heure actuelle l’un des meilleurs films de la saga !
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Analyse réalisée par Quentin Billard
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