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SOUNDTRACK 

ANALYSIS

THE BRIDGE

OF SPIES

PAR QUENTIN BILLARD

THE BRIDGE OF SPIES

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 Bridge of Spies » (Le Pont des Espions) offre l’occasion à Steven Spielberg de renouer avec le genre du film historique après « Empire of the Sun », « Amistad », « The Color Purple », « Schindler’s List », « Saving Private Ryan », « Munich » ou « Lincoln ». « Bridge of Spies » marque les retrouvailles entre Spielberg et Tom Hanks, pour leur quatrième film en commun. Le film se déroule en pleine période de la Guerre Froide en 1957. Rudolf Abel (Mark Rylance) – qui est en réalité un usurpateur dont le vrai nom est William Fischer - est arrêté à New York et accusé d’espionnage pour le compte de l’URSS. James B. Donovan (Tom Hanks), un avocat pour assurance, est chargé d’assurer la défense de Rudolf Abel, afin de montrer au public que l’homme reçoit un procès équitable. Le juge condamne alors Abel mais Donovan obtient finalement qu’il ne soit pas exécuté, et l’espion soviétique est finalement envoyé en prison pour une peine de 30 ans. Alors qu’une grande partie de la population américaine désapprouve le verdict et que sa famille subit des menaces et des intimidations, James B. Donovan persiste à défendre Abel, persuadé que l’enquête a été bâclée et que les preuves sont insuffisantes.

 

Peu de temps après, un avion espion américain piloté par Francis Gary Powers (Austin Stowell), jeune pilote recruté par la CIA, est abattu au dessus du sol soviétique. Powers est alors arrêté et séquestré par les soviétiques, qui l’accusent à leur tour d’espionnage. Donovan reçoit ensuite un courrier de l’Allemagne de l’est, écrit par une personne qui prétend être l’épouse d’Abel, qui le remercie d’avoir pris sa défense et lui suggère urgemment de rentrer en contact avec leur avocat, un certain Vogel. La CIA en déduit qu’il s’agit d’un indice suggérant que l’URSS est prête à négocier un échange, pour Abel et Powers. Donovan se rend ensuite à Berlin-Est pour une mission non officielle. Découvrant la situation complexe de l’Allemagne de l’Est à la fin des années 50, et l’édification du mur qui séparera le pays en deux blocs distincts, Donovan va devoir négocier avec un officier du KGB à l’ambassade Soviétique qui le mettra ensuite en contact avec Wolfgang Vogel (Sebastian Koch). Les choses se compliquent lorsque Donovan décide de ramener non pas un prisonnier mais deux, puisqu’en plus de Powers, l’avocat espère aussi sauver Frederic Pryor (Will Rogers), un jeune étudiant américain innocent arrêté injustement par la police allemande sous un prétexte fallacieux. Les négociations s’avèrent périlleuses, d’autant que les desideratas de Donovan pourraient bien faire échouer l’échange d’espions souhaité par la CIA, prête à tout pour récupérer Powers coûte que coûte.

« Bridge of Spies » marque donc le retour de Spielberg dans le domaine des films historiques. Le film s’intéresse particulièrement au contexte de la Guerre froide à la fin des années 50 et à la construction du mur de Berlin par la RDA en 1961, le tout sur fond de tensions politiques entre l’Amérique et l’URSS et de traque aux espions. Solidement documenté, « Bridge of Spies » bénéficie d’un scénario de qualité – co-écrit par Joel et Etan Cohen – et d’un casting de luxe : Tom Hanks reste égal à lui-même dans le rôle de cet avocat prêt à tout pour sauver son client d’un sort bien funeste. A ses côtés, Mark Rylance est la véritable révélation du film : flegmatique et intelligent, l’acteur anglais interprète un espion soviétique secret mais fidèle à ses convictions, et forcément courageux dans le contexte du film. Réalisé de manière très académique, « Bridge of Spies » rappelle les romans d’espionnage de John Le Carré ou les intrigues à suspense de John Grisham – on pense parfois à « The Firm » - Spielberg nous livre sa vision d’un cinéma classique, sophistiqué et élégant, avec une direction d’acteur impeccable, une mise en scène léchée, une photographie somptueuse et une reconstitution d’époque solidement documentée. Evoquant les remous d’une période charnière du XXe siècle, « Bridge of Spies » rappelle aussi le goût actuel d’Hollywood pour les intrigues de géopolitiques, même si Spielberg est suffisamment malin pour ajouter à son récit un message humaniste évident en choisissant de présenter – de manière iconoclaste – un personnage d’espion russe suffisamment humain pour que son avocat américain décide de se battre pour lui, envers et contre tous. On pourra toujours trouver le message un peu lourdement appuyé ou un brin manichéen, mais Spielberg a suffisamment de ressources pour jouer habilement sur les contradictions de l’histoire tout en évoquant les failles de la société américaine de la Guerre froide et de la paranoïa qui plongea les deux opposants – USA et URSS - dans une guerre idéologique et politique dont l’issue semblait alors bien sombre.

Dommage cependant que le film pâtisse par moment d’une atmosphère un peu lisse : hormis la complexité de cette histoire d’échange d’espions et de négociations géopolitiques sur fond de luttes pour des intérêts nationaux, les situations et les péripéties s’enchaînent parfois trop simplement, notamment durant le dernier acte du film, qu’on aurait aimé plus tendu, plus intense. A trop vouloir jouer la carte de la sobriété, Spielberg finit par accoucher d’un film trop simple, trop convenu, malgré son histoire étonnante d’une amitié entre deux personnes que tout oppose. Peut être que le film aurait gagné en intensité et en intérêt en réduisant sa longueur et en optant pour une mise en scène moins classique, plus moderne. Le cinéaste ne prend aucun risque et livre un thriller historique très académique et assez passionnant bien que sans réelle surprise, trop propre pour convaincre pleinement.

En essayant d’imiter les intrigues d’espionnage du cinéma des années 60 ou des thrillers politiques/conspirationnistes des années 70, Spielberg oublie qu’il s’adresse à un public des années 2000, dans une société totalement chamboulée par de nombreux événements qui ont remis en cause une certaine vision du monde que le film tente de défendre de manière stérile. De là à prétendre que « Bridge of Spies » est un film rétrograde, il n’y a qu’un pas. Le long-métrage de Spielberg est donc une réussite incontestable d’un point de vue formel, mais ne réussit pas pour autant à atteindre les sommets de « Schindler’s List », de « Empire of the Sun », de « Munich » ou de « Saving Private Ryan », qui s’avéraient beaucoup plus virtuoses, beaucoup plus denses dans leur traitement visuel et scénaristique. « Bridge of Spies » est une déclaration d’amour évidente pour tout un pan du cinéma américain d’antan, qui devrait séduire les fans du réalisateur et les passionnés d’Histoire, même si l’on se serait attendu à quelque chose de bien plus audacieux de la part du cinéaste.

Alors que l’on se serait attendu à ce que John Williams retrouve à nouveau Steven Spielberg sur « Bridge of Spies », le film sera finalement mis en musique par Thomas Newman, une première dans la filmographie du réalisateur américain. Rappelons que Williams connaissait à cette époque quelques problèmes de santé importants qui l’obligèrent à passer son tour sur « Bridge of Spies » - le musicien souffrait de problèmes cardiaques qui l’obligèrent à se faire poser un pacemaker. Par la suite, le compositeur fut astreint au repos par ses médecins – Le score de Thomas Newman pour « Bridge of Spies » permet au compositeur de retrouver l’univers des films de guerre à la façon de « The Good German » (2006).

Film de Steven Spielberg oblige, il y a des influences évidentes de John Williams dans le score de Newman, probablement imposées par le réalisateur lui-même. Après une introduction dévoilant des choeurs russes mystérieux et des trémolos de balaïka dans « Hall of Trade Unions, Moscow », « Sunlit Silence » prend l’apparence d’une marche américaine débutant sur une fanfare de cors inspirée du style de Williams ou d’Aaron Copland. Loin de se contenter de singer l’esthétique musicale du complice habituel de Spielberg, Newman renoue ici avec son style minimaliste habituel, notamment dans l’emploi de touches synthétiques discrètes ou des sempiternels musiciens solistes du compositeur. L’écriture plus lyrique des bois et des cordes vers 1:24 est très représentative du style habituel de Newman. Le compositeur y exprime ici une solennité évidente avec ses harmonies élégantes et émouvantes qui lui sont si personnelles. A ce sujet, « Sunlit Silence » est l’un des premiers moments fort du score. Les trémolos de balaïka reviennent dans « Ejection Protocol » où l’on retrouve les solistes fétiches du compositeur, et notamment l’emploi d’un violon électrique. « Standing Man » utilise brillamment des synthétiseurs plus mélancoliques et mystérieux nous renvoyant aux partitions minimalistes habituelles de Newman, avec le retour des cordes lyriques typiques du musicien. On appréciera ici la façon dont le compositeur parvient à jongler entre les allusions à John Williams et son propre style musical, le mélange de ces deux axes musicaux apportant un plus à la partition de « Bridge of Spies » dans le film.

Dans « Rain », Newman utilise le piano et les synthétiseurs de manière plus répétitive, avec ses cordes staccatos plus pressantes. « Lt. Francis Gary Powers » évoque la capture du pilote américain par les soviétiques avec d’étranges choeurs synthétiques et des cordes plus sombres et menaçantes. La musique se teinte ici de dissonances de cordes et fait monter la tension pour évoquer la crise qui oppose les Etats-Unis et les Soviétiques en pleine ère de la Guerre Froide – curieusement, les choeurs synthétiques rappellent parfois ici certains passages du « JFK » de John Williams – « The Article » reprend l’écriture plus emphatique et ‘americana’ des cuivres, évoquant dans le film la mission confiée à James B. Donovan – on retrouve par ailleurs les éléments électroniques habituels du compositeur – Thomas Newman parvient ainsi à évoquer la tension tout au long du film et maintient un rythme constant avec ses pulsations électroniques ou ses moments plus nerveux, mais tout en conservant une approche mélodique typique des films de Spielberg. Dans « The Wall », le compositeur évoque la séquence de la construction du mur de Berlin à l’aide de cordes plus sombres et des choeurs russes – la coda dramatique de « The Wall » est très réussie dans le film ! –

Les fans de Thomas Newman apprécieront de retrouver les traditionnels piano vaporeux si chers au compositeur dans « Private Citizen », où l’on devine une émotion et une douce mélancolie qui aurait gagné à être davantage développée ici. « The Impatient Plan » reprend l’ambiance mystérieuse de « Standing Man » lors du dernier acte du film. L’arrivée de Donovan à Berlin Ouest dans « West Berlin » est accompagnée de pulsations électroniques, de cuivres et de cordes plus agitées. Newman développe ici le thème harmonique introduit dans « Ejection Protocol », reconnaissable à ses cordes staccatos nerveuses et ses cuivres imposants.

La séquence finale de l’échange des espions est évoquée dans les 10 minutes « Glienicke Bridge », où Newman suggère la tension entre les nappes synthétiques, les notes vaporeuses du piano et des cordes plus sombres. A noter ici la façon dont le compositeur fait évoluer le morceau tout au long de la séquence, reflétant la volonté habituelle de Spielberg de construire la narration de ses séquences autour de la musique. Newman se voit enfin offrir l’opportunité de développer ses idées de façon plus conséquente lors des 10 minutes 52 de « Glienicke Bridge ». On retrouve ici les cordes poignantes de « Standing Man » et d’autres éléments du score qui semblent atteindre ici leur apogée de façon parfaitement cohérente.

Par ailleurs, « Glienicke Bridge » se termine sur une coda martiale assez grandiose et très réussie. « Homecoming » évoque ensuite le retour de Donovan chez lui après le succès de sa mission secrète. Le morceau débute sur une trompette solennelle et cède ensuite la place à une ambiance plus lyrique et apaisée où l’on retrouve les harmonies de cordes habituelles du compositeur. Le thème principal est repris au piano dès 1:33 pour ce qui reste l’un des plus beaux morceaux de « Bridge of Spies », évoquant pour l’occasion l’amitié entre Donovan et Abel à la fin du film, qui semble dénoter dans le climat paranoïaque de la Guerre Froide suggérée par l’histoire. Newman nous offre ici une coda poignante et solennelle de toute beauté, suivi du « End Title » qui récapitule les principales idées du score pour le générique de fin.

« Bridge of Spies » s’avère donc être une partition de qualité, réussie dans le film pour qu’elle mérite qu’on s’y attarde davantage.

Thomas Newman glisse quelques clins d’oeil musicaux à Williams mais parvient à conserver son propre style et offre au film de Spielberg une partition de qualité, plutôt inspirée et très cohérente avec les images.

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Sans être inoubliable dans la filmographie de Thomas Newman, « Bridge of Spies » est un score très soigné et très réussi, qui ne tente pas d’émuler John Williams mais impose sa propre vision musicale en essayant de concilier les exigences du cinéaste et celles du compositeur.  

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Analyse réalisée par Quentin Billard  

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